Observation(s)

 

Savoir qu’ Ivana Adaime Makac a vécu en Patagonie pendant vingt ans, ce n’est sans doute pas pour rien pour comprendre son approche du monde naturel, animal, sauvage. Composée d’installations, de vidéos et de photographies, son œuvre intègre systématiquement des « êtres » vivants : criquets, grillons, vers à soie et même souris. Considérés pour certains comme des espèces nuisibles, voire utilisés comme cobayes, ils figurent ici comme les pièces maîtresses de l’œuvre intrinsèquement expérimentale de l’artiste, les acteurs fétiches de ses mises en scène.
Si l’observation, au cœur de sa démarche, convoque le registre scientifique, les multiples laboratoires que l’artiste met en place n’ont rien de clinique… En fausse captivité, les souris — libres mais ne s’échappant jamais de leurs nouveaux territoires -, évoluent dans des cages, non pas dorées, mais presque. Une table en fer recouverte de carreaux de couleur noire et ponctuée de roues métalliques, un cube-refuge en miroir doté d’une passerelle en paillettes argentées, constituent leur décor et terrain de jeux dans l’installation Observatoire. Un univers plutôt « glamour » pour ces petites bêtes qui savent se laisser désirer et demeurent parfois invisibles, créant un effet déceptif chez le spectateur. Elles ne sont pas là pour épater la galerie, encore moins pour travailler. « Ce sont elles qui me font travailler », déclare au contraire l’artiste, qui se nourrit des comportements des insectes et autres rongeurs qu’elle soumet à de nouvelles conditions, tout en restant attentive à leurs besoins.
C’est dans un registre volontiers kitsch que s’inscrivent les différents modules qui forment l’œuvre Le Banquet : une série de vivariums sur socle autour desquels sont disposés deux tabourets en vis-à-vis. À l’intérieur de ces boîtes transparentes trônent des natures mortes composées de divers éléments organiques tels des fleurs, des légumes et autres aliments putrescibles sur une structure de mousse de fleuriste. L’habitat haut en couleurs de criquets pèlerins vivants qui se donnent à observer. Ordinairement utilisés comme nourriture vivante pour d’autres animaux comme les reptiles, ils se repaissent ici de ces trésors tant immobiles qu’éphémères, nécessitant un entretien quotidien auquel procède l’artiste, tout comme pour le projet Rééducation consistant en un dispositif d’élevage et d’observation de vers à soie. Cette entreprise, dont l’artiste ne nie pas le caractère quelque peu utopique, vise à faire recouvrer à cette espèce, domestiquée et exploitée par l’homme depuis des milliers d’années, une certaine forme de sauvagerie…
L’œuvre d’Ivana Adaime Makac sous-tend un éloge de la lenteur, livrant à notre regard des processus au sein desquels la notion de temps repose sur une ambivalence radicale: l’artiste nous invite à contempler des vies éphémères, scandées par une multitude d’étapes allant de la naissance à la mort, en passant par la reproduction et la transformation.

 

Anne-Lou Vicente